6 de abr. de 2011

HOMMAGE A AIMÉ CÉSAIRE

Chers amis, Je me rendrai demain mercredi 6 avril à l’hommage rendu à Aimé Césaire au Panthéon. C’est l’occasion pour moi d’exprimer ma reconnaissance pour son engagement en tant que président du comité national de soutien lors de la campagne présidentielle de 2007. Voici le message que je lui adresse pour que sa mémoire et que sa parole continuent à éclairer les engagements d’aujourd’hui. Ségolène Royal Merci à Aimé Césaire Aimé Césaire vous entrez au Panthéon où il est juste que vous ayez votre place. C’est un hommage ainsi rendu à l’homme de conviction et d’action, au poète dont le lyrisme incandescent a fait, disait son ami Depestre, œuvre de marronnage vivifiant dans les veines de la langue française, à l’éveilleur de consciences, au démineur d’hypocrisies, au combattant inlassable de l’humaine dignité qui avait choisi son camp – « je suis de la race de ceux qu’on opprime » - et annonçait fièrement au monde : « l’heure de nous-mêmes a sonné ». Dans ce lieu où la République honore ceux qui lui ont fait honneur, vous rejoignez Toussaint Louverture, le libérateur d’Haïti dont vous avez raconté l’épopée héroïque et tragique. Delgrès qui conduisit en Guadeloupe la résistance au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte. Schœlcher, l’abolitionniste socialiste dont vous disiez que ni les préjugés, ni les insultes, ni la calomnie n’entamèrent le combat acharné et qu’il fut l’un des premiers à mesurer la valeur de civilisations africaines jusque là méconnues. Condorcet, l’abbé Grégoire, Hugo, Zola, Jaurès, Jean Moulin, René Cassin, Félix Éboué : à chacun nous sommes redevables de nos libertés comme nous le sommes à vous, Aimé Césaire pour avoir, votre vie durant, pris le parti des assoiffés de justice et défendu nos valeurs avec courage quand la politique de la France leur tournait le dos. J’avais, lors du rassemblement célébrant à Fort de France la disparition d’Aimé Césaire, proposé que la République inscrive à son Panthéon son nom et son œuvre. Cela m’avait valu quelques critiques. Qu’importe puisqu’aujourd’hui c’est chose faite. Quels qu’en soient les motifs, je m’en félicite. Nul ne peut récupérer celui qui tint tête aux pouvoirs coloniaux et post-coloniaux, celui qui ne craignait pas d’écrire « Accommodez-vous de moi. Je ne m’accommode pas de vous ». « Colonisation = chosification » écrit Aimé Césaire dans cet ouvrage au vitriol, érudit et porté par une langue magnifique. Les effets positifs du système colonial ? « On me lance à la tête des faits, des stocks, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer [...]. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ». Il nous rappelle aussi combien les violences coloniales ont déshumanisé le colonisateur autant que le colonisé, instillé leur poison dans les veines de l’Europe et contribué à « l’ensauvagement d’un continent » devenu à son tour cible de barbaries d’abord rôdées outre-mer. On le traita à l’époque d’insulteur de la patrie. Mais c’était lui qui défendait les valeurs de la République. Et le lire aujourd’hui nous aide à mieux comprendre de quelles violences au long cours sont tissées nos histoires. « Nègre » était une insulte. Il en fit une fierté et l’étendard d’un combat pour l’égalité. Avec Damas et Senghor, ils poussèrent le « grand cri nègre » contre l’aliénation et le mimétisme, pour le droit d’inventer sa propre route. « Nègre je suis, Nègre je resterai », a-t-il écrit, mais aussi : plus nous serons Nègres, plus nous serons des hommes car il voulait l’universel riche de toutes les singularités. La négritude, telle qu’il la concevait, n’était pas une identité repliée sur elle-même mais, disait-il, l’une des formes historiques de la condition faite à l’homme, la métaphore de la mise à part et la quête d’une plus large fraternité. La revue L’Étudiant noir, les éditions Présence africaine, les deux Congrès des Écrivains et Artistes noirs ont été les porte-voix d’un formidable mouvement de création et d’émancipation. La puissance incantatoire du magnifique Cahier du retour au pays natal fut, à la fin des années 30, une éblouissante déflagration poétique et politique. Un guide pour l’inexploré, s’enthousiasmait André Breton. Une somptueuse poétique de la souffrance historique, pour Glissant. « Ma bouche, y écrivait Aimé Césaire, sera la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». Il a tenu parole, fidèle au parti-pris de toute une vie. Voilà pourquoi les fils et les filles de Césaire sont si nombreux de par le monde, écrivains auxquels il a ouvert la voie, militants dont il a fortifié les raisons, hommes et femmes qu’il a aidés à voyager en eux-mêmes. Lucide, il savait qu’après le temps épique de la lutte, vient le risque de nouvelles dominations se substituant aux anciennes. Sa Tragédie du Roi Christophe, comme il l’a souvent dit, n’est pas seulement l’histoire d’un héros haïtien aux prises avec l’exercice de plus en plus solitaire du pouvoir mais « l’œil grossissant » de tous les dilemmes post-coloniaux. Un message aux leaders des indépendances africaines parmi lesquels il comptait nombre d’amis. Lucide avant beaucoup, Aimé Césaire le fut aussi en rompant, dès les années 50, avec un système stalinien qui dépêchait ses chars à Budapest et faisait d’une immense espérance fraternelle l’alibi de son despotisme. Il n’aimait pas « la littérature des mots d’ordre ». Il croyait au pouvoir d’une langue de haute tenue, audacieuse et rebelle. Il voulait que son théâtre donne la poésie à voir. Il s’adressait à tous sans jamais en rabattre sur l’impétueuse beauté de textes écrits, disait-il, dans les plis et les interstices de l’action. À l’Assemblée nationale, où il siégea avec les socialistes durant les quinze dernières années de son mandat, son talent oratoire subjuguait même ceux qui ne partageaient pas ses idées. Attentif à ce qu’il y a derrière les mots, il comprit qu’en réclamant « l’assimilation », qu’il récusait, les Martiniquais exprimaient en réalité leur demande d’égalité. C’est pourquoi il défendit la départementalisation, à ses yeux « habit de circonstance », puis tira les leçons de ses promesses non tenues en défendant l’autonomie. Il racontait comment il s’était retrouvé à la Libération, sans l’avoir voulu et sans rien connaître de la gestion municipale, jeune Maire de Fort de France, mandat qu’il assuma pendant 56 ans. Il en fit une ville qu’il ne cessa jamais d’arpenter, toujours à l’écoute de ses habitants. Il aimait construire, bâtir. Il voulut pour les Foyalaises et les Foyalais des conditions de vie dignes. Il rappelait le temps des cases sans toit, des masures insalubres, des enfants aux pieds nus. Il s’attela à la tâche en commençant par les travaux d’assainissement. Il redessina et métamorphosa la capitale martiniquaise. Serge Letchimy, qui lui succéda à la mairie et est aujourd’hui président de la Région Martinique, fut activement partie prenante de cette œuvre urbaine. Il disait aussi : je suis très végétal, les arbres m’émeuvent, ils incarnent ma philosophie de la vie. J’adresse un salut amical au docteur Aliker, son compagnon de tous les combats, évoquant la fleur du balisier, emblème du Parti Populaire Martiniquais, qui trouve l’eau en elle-même quand elle vient à manquer comme il faut savoir puiser en soi l’énergie nécessaire à la lutte. Il me redisait, en février 2011, à quel point l’engagement auprès d’Aimé Césaire avait porté toute sa conviction de médecin auprès des plus pauvres. Aimé Césaire tenait la culture pour vitale, bien commun de première nécessité qui devait être accessible à chacun. C’était, avec François Mitterrand, un sujet de conversations amicales. La culture, disait-il, est notre arme par excellence car elle contient tout ce que l’humanité a inventé pour rendre le monde vivable et la mort affrontable. Il voulait qu’elle témoigne de la vitalité artistique du pays martiniquais, en dialogue avec toutes les cultures du monde. Je me souviens de son affabilité, de sa courtoisie, de sa disponibilité. De sa profonde humanité et de sa révolte intacte contre toute forme d’humiliation. De sa main prenant la mienne sur le perron de la mairie de Fort de France. De cette phrase qui m’avait tellement touchée : « elle a su nous écouter ». De cette dédicace sur un livre de ses poèmes : « à Ségolène Royal qui représente pour nous l’espérance, pour lui dire notre confiance ». De ma reconnaissance pour le généreux cadeau de son engagement à mes côtés, lorsqu’il avait accepté de prendre la Présidence d’honneur de mon Comité national de soutien lors de la dernière campagne présidentielle. Aimé Césaire n’était pas de ceux que les ruses amères de l’histoire font fléchir. J’ai toujours un espoir, disait-il, parce que je crois en l’humanité. Cet homme de volonté et de haute exigence est resté fidèle aux engagements d’une vie droite. Jamais sa fermeté ne s’abaissa en sectarisme. Jamais il ne cessa d’opposer un refus vibrant au mensonge et au mépris. Pour moi, il reste un encouragement à penser loin des poncifs. Loin de ces « vainqueurs omniscients et naïfs » qui se trompent et nous trompent. Merci à celui dont la parole prophétique, belle comme « l’oxygène naissant » disait Breton, annonce que « les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière ». Ségolène Royal.

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